Comment réduire l’empreinte écologique des Jeux olympiques sans renoncer pour autant à l’organisation du plus universel des événements sportifs ? Usbek & Rica a soumis cinq scénarios à un panel de spécialistes. Pour ADEME Magazine, retrouvez deux de ces scénarios : « Sapporo 2046 » qui suggère de réduire le nombre de villes hôtes et d’alterner entre elles ; « Nairobi 2052 » qui propose de se servir des JOP pour penser de véritables plans d’adaptation au changement climatique.
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Du neuf avec du vieux
Une poignée de villes hôtes, et fermez le ban. En quête d’un manteau neigeux suffisant et de températures assez basses pour éviter le dégel, descendeurs et slalomeurs ont dû prendre de la hauteur pour ne fréquenter qu’un cercle restreint de pistes et de tremplins.
Le CIO avait lui-même tiré la sonnette d’alarme fin 2023, estimant que dix pays seulement seraient en mesure d’accueillir les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver d’ici 2040. La faute au réchauffement climatique, mais aussi aux capacités limitées d’autres sites en matière d’hébergement et de transport, du public comme des athlètes. Un chiffre qui devrait encore se réduire à l’avenir, avec seulement six stations élues à l’horizon 2080, et une seule (Sapporo, au Japon) à la fin du siècle, d’après une étude menée par l’université canadienne de Waterloo. Réduire le nombre de villes hôtes potentielles et tourner en boucle entre elles, d’édition en édition, apparaît comme l’option la plus raisonnable pour éviter la fuite en avant technologique, en particulier le recours massif à la neige artificielle et à la géo-ingénierie pour ensemencer les nuages. Un antimodèle déjà emprunté en 2022 par Pékin et sa poudreuse 100 % artificielle, alimentée par le gaspillage de plus de 2 millions de mètres cubes d’eau…
L’idée d’une rotation entre la poignée de parcs sportifs déjà existants, simplement toilettés à chaque Olympiade, soulève l’enthousiasme d’Alexis Lepage, coauteur d’une étude sur l’empreinte carbone estimée de la Coupe du monde de rugby 2023 : « C’est la solution idéale pour éviter les chantiers de construction polluants, les équipements inutiles et l’artificialisation des sols. » Le chercheur du Shift Project imagine même transposer ce carrousel des sports d’hiver en version estivale autour d’une quinzaine de villes déjà toutes équipées ou presque (Paris, Londres, Munich, Los Angeles, Pékin, Melbourne, etc.).
Mais n’est-ce pas déjà un peu le cas ? « Échaudé par l’artificialisation massive des espaces naturels à Sotchi (2014, en Russie, ndlr) et les immenses manifestations au Brésil dénonçant la gabegie d’infrastructures monumentales éphémères (2016, à Rio, ndlr), le CIO a exigé des villes hôtes des engagements environnementaux beaucoup plus importants dans le cadre de son Agenda olympique 2020 », rappelle Carole Gomez, chercheuse à l’université de Lausanne, spécialiste des institutions sportives.
Avec pour résultat immédiat l’organisation des prochains JO à Paris et Los Angeles, deux villes ayant déjà organisé l’événement par deux fois au siècle dernier. Raisonnable, ce virage ne risque-t-il pas d’exclure du cercle olympique de nouvelles villes et publics ? « Le cosmopolitisme, aujourd’hui, est l’apanage des participants, pas des spectateurs. Et puis il n’y a pas trente pays dans le monde capables d’organiser les Jeux et de supporter leurs coûts, il faut arrêter avec ce mythe ! », tranche David Roizen, membre de l’Observatoire du sport de la Fondation Jean-Jaurès.
L’héritage olympique enfin au rendez-vous
28 juin 2052. Depuis trois jours, la capitale kenyane est sous le feu des caméras du monde entier. Mais cela fait déjà un bon quart de siècle qu’elle a entamé sa mue. Vaste opération d’aménagement urbain pour adapter la ville au dérèglement climatique, le projet Greater Nairobi a été confié au premier prix Pritzker africain, le Béninois Diébédo Francis Kéré. Pas facile, cependant, de tenir le cap, quand les arbitrages financiers menacent de remettre en cause les normes environnementales.
Alors, pour s’en prémunir, les élus locaux ont décidé de faire de Nairobi la ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques de 2052. L’occasion de renforcer les réseaux de transport et l’accessibilité de la capitale aux personnes handicapées, deux impératifs du cahier des charges fixé par le CIO. Pour éviter que le budget n’engloutisse le PIB du pays, les tribunes des enceintes olympiques sont restées modestes. Sans compter que, depuis les Jeux de Londres en 2040, une partie du grand barnum olympique (bassins nautiques démontables, pistes d’escrime, pas de tir mobiles et village des médias modulaires, etc.) vagabonde désormais d’édition en édition. Après Mexico 2048, tout ce matériel a eu quatre ans pour voyager à bord de paquebots à voiles.
Le cosmopolitisme, aujourd’hui, est l’apanage des participants, pas des spectateurs. Et puis il n’y a pas trente pays dans le monde capables d’organiser les Jeux et de supporter leurs coûts, il faut arrêter avec ce mythe !
« Pour concevoir un héritage durable, le mieux serait d’inscrire les Jeux dans un projet urbanistique et sociétal qui les dépasse, abonde Jean-Loup Chappelet, professeur émérite à l’université de Lausanne. Turin a joué cette carte avec succès en 2006, l’organisation des Jeux d’hiver étant un coup de projecteur sur la transformation de la cité industrielle de Fiat en ville touristique et culturelle. » Idem pour le boom barcelonais post-1992. Plane néanmoins une menace : devoir répondre aux besoins vertigineux en hébergement et en transport pour le seul temps des Jeux – à moins de devenir ensuite une destination soumise au tourisme de masse.
C’est la raison pour laquelle, dans notre scénario, Nairobi a obtenu le droit d’étaler les compétitions de juin à novembre, entre deux saisons des pluies. Une manière bienvenue de répartir les foules, d’éviter la spéculation immobilière et la congestion des matatus, les minibus de la capitale. Et de diviser au passage par deux le nombre de sites sportifs nécessaires.
Reste un dernier obstacle à franchir : parvenir à différencier ce qui relève de l’héritage durable de l’« olympic-washing ». « Aujourd’hui, l’héritage est une notion fourre-tout, une pilule dont tous les acteurs (CIO, comités d’organisation, élus) se saisissent pour faire accepter tous les désagréments liés à la tenue de l’événement », soupire David Roizen, de la Fondation Jean-Jaurès. D’où la proposition de Jean-Loup Chappelet de créer « une instance équivalente au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques chargée de juger et de gérer l’héritage des Jeux sur le long terme, jusqu’à dix ou vingt ans après leur tenue ». L’Agence mondiale antidopage, avec sa gouvernance indépendante, pourrait alors servir de modèle.
Découvrez les 3 autres scénarios !
Dans le magazine n°43 d’Usbek & Rica disponible en kiosque.